- 02 août 2018
- En Sammy Soetaert
- | 7 min. temps de lecture
- | Source: Motion Control
LE CHOIX EST LE SUIVANT: S'ADAPTER OU DISPARAITRE DU MARCHE
Le manager de transition Leo Van de Loock nous parle de l'I4.0
Le gouvernement flamand a identifié l'évolution vers Industry 4.0 comme l'une des sept transformations sociales majeures. Pour chacune de ces transformations, on a nommé un gestionnaire de transition. Pour Industry 4.0, c'est Leo Van de Loock. Il est grand temps pour sa vision sur l'impact de cette évolution sur votre entreprise.

INFLUENCER LES EVOLUTIONS
Comment décririez-vous l'Industrie 4.0?
Leo Van de Loock : « Pour moi, la transition vers l'Industrie 4.0 est une donnée qui concerne toutes les formes d'industrie, pas seulement l'industrie manufacturière. Je vois deux gros moteurs derrière cette évolution: le progrès technologique et la révolution digitale. La symbiose des deux entraîne non seulement une autre manière de produire, mais aussi un état d'esprit complètement différent dans la vente de ces produits. L'Industrie 4.0 va beaucoup plus loin que l'acquisition d'un système ERP ou l'utilisation de capteurs supplémentaires pour pouvoir suivre une machine à distance. C'est aussi l'évolution vers un autre modèle de vente. Je donne l'exemple d'Adidas, qui peut proposer des chaussures entièrement sur mesure. Ce concept 'lot size 1', le fait de proposer des produits personnalisés, n'est possible que dans un environnement digitalisé. On voit ainsi apparaître des structures de vente complètement différentes, également dans l'industrie. Les entreprises ne vendent plus des machines, mais un concept global. Un autre exemple est la vente d'air comprimé à la place d'un compresseur. Les clients n'achètent plus seulement la machine, mais aussi un service qui les décharge de toute préoccupation en matière d'air comprimé. Les fabricants deviennent davantage des prestataires de services. »
NOUS N'ALLONS PAS EMBRAYER SUR L'I4.0
Ce propos a été tenu récemment par un manager de production. Qu'en pensez-vous?
Leo Van de Loock : « Quand j'entends ça, j'ai peur pour l'avenir proche de cette entreprise. Lorsqu'on est actif dans un secteur où la digitalisation peut offrir une certaine valeur ajoutée au produit à vendre, il faut absolument suivre le mouvement. Sous peine de disparaître. Et ça arrive plus vite que ce qu'on ne croit. Il est vrai que la Belgique est un pays de PME, mais ce n'est pas une excuse pour se voiler la face. L'Allemagne aussi est un pays de PME et elle mise beaucoup sur l'Industrie 4.0. L'investissement a beau être plus important pour une petite entreprise, sa plus grande flexibilité lui offre un avantage à introduire de nouvelles technologies. A cet égard, je distingue trois types d'entreprise - indépendamment de la taille. D'abord, celles qui restent dans le coup et qui sont déjà en train d'implémenter l'Industrie 4.0. Ensuite, celles qui sont conscientes que quelque chose est en train d'arriver, mais qui ne savent pas très bien comment réagir. Enfin, celles qui ne réalisent pas encore ce qui les attend, et qui sont encore dans une phase de déni. L'une de nos tâches consiste à les sensibiliser. Je suis convaincu que les entreprises, à un certain moment, seront automatiquement aspirées dans le concept I4.0. Parce qu'elles font partie d'un système plus grand qu'elles, où leurs fournisseurs ne proposent plus que des machines entièrement adaptées à l'I4.0. Et si, en plus, les clients demandent des choses qui ne sont possibles qu'avec une certaine digitalisation, on obtient une toile dans laquelle on est bien forcé d'évoluer. »

DANS LE PELOTON DE TETE
“Le World Economic Forum a publié au début de l'année une étude faisant un état de la situation. En Europe, l'Allemagne est en tête concernant la transition vers l'Industrie 4.0. Les Pays-Bas font aussi souvent partie du peloton de tête. Mais nous aussi, nous sommes dans le haut du classement. Alors, cessons de jouer les modestes. Nous pouvons être positifs. Lorsque Ford Genk ferme ses portes, les journaux ne parlent que de ça pendant des semaines - à juste titre. Mais ils parlent beaucoup moins de l'impact positif sur l'emploi qu'ont les start-ups et les PME dynamiques. De manière générale, les nouvelles concernant l'impact sur l'emploi sont souvent négatives. Mais cela peut aussi être différent: l'histoire concernant le cobot d'Audi a été racontée de manière beaucoup plus nuancée, par exemple. »
Personnel, vitesse et traçabilité
« Une enquête d'Agoria révèle d'ailleurs que ses Factories of the Future, qui sont pionnières en matière de transition, ont embauché plus de personnel. En outre, nous disposons d'une industrie robuste. Nous pouvons supporter les coups et l'Industrie 4.0 peut encore nous rendre plus forts. En principe, la digitalisation et l'automatisation ont aussi un impact positif sur les coûts salariaux directs, ce qui fut jadis une raison importante de déplacer la production vers les pays à bas salaire. Mais il y a d'autres raisons de ramener la production ici. Par exemple, les consommateurs ne veulent pas seulement un produit personnalisé, ils veulent aussi l'avoir rapidement. Le temps de transport joue donc en faveur d'une économie locale. De plus, nous évoluons vers une économie circulaire. La traçabilité de toutes les pièces d'un produit exige une digitalisation approfondie. L'évolution vers l'Industrie 4.0 joue aussi un rôle important à cet égard. »

OBSTACLES
Quels sont les principaux obstacles que vous voyez dans la transition?
Leo Van de Loock : « En plus de choisir la bonne technologie et le bon modèle d'entreprise, disposer de moyens et être prêt à investir constituent un défi important. Mais il ne faut pas oublier les gens qui sont embauchés dans ce nouveau concept, car il s'agit également d'un solide défi pour eux. Les opérateurs voient le contenu de leur job modifié, avec d'autres compétences et d'autres responsabilités. Un certain degré de technicité et les bonnes attitudes seront importants, mais nous devons aussi prendre conscience que tout le monde ne possède pas ces capacités. D'ailleurs, les avis concernant l'impact sur l'emploi sont partagés. Il y a env. trois courants. D'abord, la vision optimiste qui part du principe que tout va se résoudre tout seul, comme cela s'est fait lors de la transition de l'agriculture à l'industrie. Il y a aussi la vision pessimiste, qui craint une catastrophe totale en matière d'emploi. Et, entre les deux, il y a un grand groupe qui pose sur tout ça un regard un peu plus nuancé. Leur argument principal est qu'il ne s'agit pas tant de la disparition d'emplois, mais d'un nouveau contenu des emplois et de nouvelles tâches. D'ailleurs, on n'est pas encore sûr que ce sont les emplois les plus simples qui seront le plus impactés. Il y a des études indiquant que les revenus moyens constituent le principal groupe à risque. »
Manque de profils techniques
« La formation deviendra donc très importante. La 'validité' de la connaissance diminue à vue d'œil. Lorsque j'ai terminé mes études d'ingénieur il y a trente ans, je m'imaginais suivre un chemin tout tracé. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. L'apprentissage tout au long de la vie et les réorientations sont devenus la norme. Et cela nécessite des compétences et des attitudes spécifiques. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'apprentissage tout au long de la vie et la carrière dynamique constituent l'une des transitions sur lesquelles le gouvernement flamand se concentre. En outre, nous sommes dans une période avec une bonne conjoncture. Les entreprises n'ont guère le temps pour introduire de nouveaux concepts comme l'Industrie 4.0, car les gens sont actuellement submergés de travail. Certaines régions, comme le sud de la Flandre Occidentale, font l'actualité, parce qu'elles ont énormément de mal à trouver des profils qualifiés. Mais cela va aussi se faire sentir ailleurs. »
COMMENT LA TRANSITION EST-ELLE ABORDÉE?
Le gouvernement flamand a identifié sept grosses transitions comme étant des points d'action prioritaires dans la politique d'ici 2050: Economie circulaire, Apprentissage tout au long de la vie, Habitat & vie, Soin & Vivre ensemble, Mobilité, Transition énergétique et Industrie 4.0. Pour cette dernière, Leo Van de Loock a été désigné comme figure-clé, faisant le lien entre la politique et le terrain. “J'ai terminé mes études d'ingénieur civil à Gand au début des années 80. Après mon doctorat à la KU Leuven, j'ai toujours travaillé pour les autorités. Cela fait plus de 25 ans que je travail pour l'IWT (Institut pour l'innovation par la science et la technologie) et l'Agentschap Innoveren & Ondernemen. Ces dix dernières années, j'ai été responsable des subsides des projets d'innovation dans les entreprises. Début 2017, on m'a demandé d'encadrer la transition vers l'Industrie 4.0. Je rapporte à trois ministres: le ministre-président Geert Bourgeois et les ministres Philippe Muyters et Joke Schauvliege. Chaque manager de transition a la tâche de déterminer sa méthode de travail. P.ex., l'année 2050 est trop éloignée pour l'Industrie 4.0. Nous ne pouvons pas réfléchir si loin, car c'est aujourd'hui que les choses se passent. A court terme, nous devrons être actifs à plusieurs niveaux. Il y a cinq piliers: diffusion de la connaissance relative à la technologie et au fonctionnement de plate-forme, renforcement des connaissances (e.a. via Flanders Make), sensibilisation via sept bancs d'essai où les entreprises et les gens peuvent entrer en contact avec l'Industrie 4.0, collaboration pour améliorer les conditions annexes comme la formation et la réglementation et enfin, communication avec l'Europe. Nous examinons aussi la vision à long terme."